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Depuis plusieurs génération, l’ancienne impasse Sainte-Elisabeth, devenue
aujourd’hui rue Boissonade, n’a guère connu que des artistes, sculpteurs,
peintres ou graveurs, pénétrés de cette idée que l’art ne saurait mieux
fleurir que dans le voisinage de la prière. En effet, si l’on aborde la rue
Boissonade par le boulevard Raspail, l’angle droit marque la clôture des
jardins de l’infirmerie Marie-Thérèse mais la chocolaterie fondée par
Madame de Chateaubriand a fermé ses portes depuis la guerre et la partie du
jardin qui longe la rue Boissonade a été concédée à des Américains qui
sont en train d’y élever un foyer social pour étudiants. La concession
stipule que dix-sept arbres pourront être abattus. Ce n’est qu’un
commencement !
La prolongation de la rue entamera le jardin du Couvert de la Visitation. On
va tailler à vif dans cet oasis de verdure et de fraîcheur, mais nous aurons
du mois la consolation qu’aucune des affreuses bâtisses ne viendra cacher aux
artistes qui demeurent sur l’autre versant cette palette riche de tous les
verts auxquels le soleil ajoute parfois des paillettes d’or.
Petit à petit, les terrains sont morcelés, des propriétés sont bâties et
l’impasse Sainte-Elisabeth est établie afin de les desservir. Nous trouvons
en 1874 quinze propriétaires, artistes pour la plupart : les statuaires
Emile Chartousse et Emile Montagny, la peintre Eugène Lejeune, les sculpteurs
Pierre-Ed. Charrier et Brun …
L’impasse a été convertie en rue et classée, mais les artistes y
demeurent enracinés. A Faverjon, à Carot, à Chevreuil, à Cariés, à Cherruy,
secrétaire de Rodin, à Prouvé (de Nancy) à Edwin Scott, à Charles Guérin,
à Reymond ont succédé Hermine David, Diriks, Brunelleski, Henri Vallette,
Jean, Marchand, Ostetling, Oberkampf, Picard Ledoux. Chatrousse, auteur de
Jeanne d’Arc, boulevard Saint-Marcel, à cédé la place à son petit-fils
Heilligenstein qui a laissé la statuaire pour le verre et les émaux. Le
pavillon Chatrousse pourrait ainsi écrire l’histoire de la rue par les
artistes qui y abritèrent leurs rêves, qui y conçurent leurs œuvres.
Mais la rue Boissonade n’est pas seulement célèbre par ses artisans, elle
l’est encore par ses poètes. Paul Fort logea au 18, où mourut sa
grand-mère ; puis au 24, où il avait son atelier au
rez-de-chaussée ; il y fonda, en 1905 ce charmant recueil ayant pour
titre « Verts et Proses », et auquel collaboraient Guillaume
Appolinaire, Marcel Schowob, André Salmon, Raymond de la Tailhèbe, Barrès,
Moréas, Claudel, Courteline, André Suarés. Le titre avait été suggéré par
Pierre Louys, en mémoire à Stéphane Mallarmé.
Ont doit parmi d’autres écrire que au numéro 6 habité l’explorateur
Gabriel Bonvalot, l’aviateur Henri Farman et Thérèse Peltier la première
passagère d’un aéroplane.
La rue Boissonade avait reçu son nom par l’helléniste Jean François
Boissonade de Fontarabie (1774-1857) membre de l’Académie des Inscriptions et
Belles Lettres.
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